Duo de statues

Ce duo de statues de bronze tout à fait extraordinaires se trouve au Musée de l' Histoire allemande de Berlin. Encadrant une fenêtre,elles représentent les deux idéologies qui ont marqué l'histoire de l'Allemagne au vingtième siècle: à droite l'allégorie du parti national-socialiste d'Arno Breker (1900-1991), à gauche Lénine.

Ces deux statues n'ont pas la même importance: la statue de Lénine a seulement une fonction antithétique par rapport à la première, ce que le visiteur perçoit très facilement.

Sous le Troisième Reich, cette allégorie du parti avait été placée devant le Reichstag avant le fameux incendie de février 1933. C'est quelque part une œuvre de propagande qui exalte le corps aryen. Le développement du torse et de la musculature dénote la force, on perçoit la confiance dans l'attitude avec les pieds bien ancrés dans le sol, l'expression ferme et résolue du visage est presque effrayante. L'inspiration antique est évidente, les Grecs et les Romains étant assimilés aux Allemands de l'époque. Il y a ici une esthétique de la séduction par la promotion d'un corps idéal, ce qui n'est pas sans rappeler le désir des nazis de protéger le patrimoine génétique et phénotypique de la race aryenne. C'est l'amorce d'une éthique de la ségrégation.

Le personnage représenté a une attitude particulière: il tend un glaive de la main gauche en le tenant par la lame. Pourquoi? Cette œuvre est une commande et Breker sait où elle va être placée; dès lors c'est comme si ce guerrier, car c'est un guerrier qui ne craint pas la douleur physique, tendait le symbole du pouvoir aux politiques.

A l'Aryen s'oppose un contretype juif ou slave. Le créateur de la statue de Lénine a repris les clichés de l'idéologie nazie sur l' Untermensch mais en faisant en sorte que ce que les nazis considéraient comme des défauts deviennent des qualités. A l'harmonie de l'athlète répond non pas la difformité mais la normalité, à l'attitude rigide répondent la souplesse et la décontraction. En outre, Lénine s'inscrit non dans une Antiquité fantasmée mais dans le monde réel: il est vêtu à la mode de son époque et porte même la casquette de l'ouvrier, symbole de l'idéologie communiste. Il semble souriant ; les procédés de séduction sont ici complètement différents ils reposent sur la simplicité et la bienveillance. Et pour le spectateur regarder cette statue de Lénine devient un soulagement!

Encore un mot cependant sur la statue de Breker : elle paraît à priori très virile et pourtant il y a une insinuation de l'artiste ; le guerrier tient la main droite d'une manière très féminine, souvenir de Sparte.

La réunion de ces deux statues montre le travail incroyable que les Allemands ont effectué sur eux-mêmes.