Soumission de Michel Houellebecq

Le roman Soumission de Michel Houellebecq est sorti en librairie le 7 janvier 2015, le jour de l'attentat islamiste contre Charlie Hebdo. C'est un de ces moments où politique et littérature se rencontrent.; quelle attitude adopter vis-à-vis de l'islam? Tel est le problème.

Depuis plusieurs décennies, la France est gouvernée par une alternance centre-droit centre-gauche. Dans cette fiction, l'auteur imagine qu'aux élections présidentielles de 2022 est élu un candidat musulman très habile, porté par un parti dit de la Fraternité musulmane, ce qui a de multiples conséquences. La vie du héros narrateur sert de fil conducteur au roman, jusqu'à sa conversion à l'islam, terme qui, en arabe, veut dire « soumission ».

Le héros est prénommé François, prénom qui signifie « français » ; professeur de littérature à la Sorbonne, il représente l'élite intellectuelle. Il a quarante quatre ans mais il est prématurément vieilli: physiquement, il est plein de douleurs, sexuellement il est insatisfait , problématique, et intellectuellement il est stérile, il y a bien des années qu'il ne fait plus grand-chose.Il n'est pas créatif et malgré sa culture il est imbibé par son environnement: par moments , il retranscrit des slogans publicitaires ridicules. Célibataire, il a une vie sociale limitée, ne sort jamais de Paris, se nourrit de plats congelés. Sa spécialité, c'est Huysmans un auteur dit « décadent » de la fin du dix-neuvième siècle qui a évolué du naturalisme au christianisme. Il s'identifie en partie à cet écrivain et cherche à trouver la foi en visitant des lieux comme Rocamadour ou le monastère de Ligugé; mais il n'est pas touché par la grâce Sa maîtresse Myriam, une jeune étudiante juive, est la seule à défendre les valeurs républicaines ; mais quand elle émigre en Israël, elle survit dans la mémoire de son ex-amant uniquement pour l'excellence de ses performances sexuelles. François est quelqu'un qui subit les événements tout en les comprenant, il est passif et, quelque part, paresseux. Il ressent parfaitement le vide de sa vie. A la fin, il se convertit à l'islam pour retrouver son emploi (il avait été licencié car non musulman), pour gagner beaucoup d'argent (on lui propose un salaire mirifique), pour avoir une vie sexuelle agréable (il aura trois épouses adolescentes) et peut-être même pour faire comme ses collègues universitaires, par instinct grégaire.

Dans ce roman, il y a bien sûr une satire des milieux politique et universitaire. La satire des médias est un peu moins développée. L'élection présidentielle donne une occasion de voir les politiques à travers les médias. Tous parlent un langage convenu, c'est comme une pièce de théâtre bien rodée. Avant l'élection, les médias font campagne contre le Front national en passant sous silence les affrontements dans les banlieues. Au soir du premier tour, le présentateur tient en haleine les téléspectateurs; puis les premiers résultats connus, les politiques apparaissent: « Jean-François Copé ne fit son apparition sur les écrans qu'à 21 heures 50. Hâve, mal rasé, la cravate de travers, il donnait plus que jamais l'impression d'avoir été mis en examen au cours des dernières heures. Avec une douloureuse humilité il convint qu'il s'agissait d'un revers, d'un grave revers dont il assumait l'entière responsabilité […]. Quant aux consignes de vote pour le second tour, il n'en donna aucune; le bureau politique de l'UMP se réunirait dans la semaine pour prendre une décision. » En effet, le Front national est arrivé en tête suivi par la Fraternité musulmane; que vont faire les partis traditionnels? Finalement l'UMP prône l'abstention tandis que, moyennant la moitié des ministères, les socialistes se rallient à Mohammed Ben Abbes qui l'emporte, d'autant qu'il s'est engagé à prendre François Bayrou comme premier ministre; ce dernier est , pour Houellebecq, le condensé de l'élite républicaine dans toute son ineptie.

La France est islamisée à travers l'éducation, la promotion de musulmans aux postes clés, donc les conversions, et l'exaltation des valeurs familiales. L'argent coule à flots, venu de l'Arabie saoudite et du Qatar. Le but secret de Ben Abbes est la substitution à l'UE d'un empire romain ou byzantin islamique et des califats médiévaux. Il va jusqu'à chercher l'appui du pape contre l'athéisme matérialiste. Comme il est très adroit, l'évolution se fait en douceur: les femmes se voilent progressivement, puis disparaissent des lieux publics.

Le projet de Houellebecq n'est pas de raconter des faits qui soient totalement vraisemblables, mais il y a une certaine vérité dans le tableau moral: il nous décrit bien ces professeurs d'université focalisés sur leur sujet, leur carrière, la vie sexuelle des collègues. Il est extrêmement pessimiste quant à la nature humaine; le héros est comme les autres, dépourvu d'énergie, de personnalité., presque soumis naturellement, bref, excellent candidat à l'islam. L'Occident est corrompu par le haut, en commençant par les « élites » intellectuelles, politiques, financières....Cette œuvre constate donc le déclin de l'Empire dont la chute est devenue possible..